Contexte mondial et implications pour l’Afrique
À l’heure où l’ordre mondial se reconfigure sous l’effet de tensions croissantes entre grandes puissances, l’Afrique se trouve à un carrefour stratégique. La rivalité sino-américaine, la guerre en Ukraine, les tensions autour de Taïwan ou encore les recompositions d’alliances au Moyen-Orient influencent directement la place du continent africain dans les relations internationales. Alors que l’on s’oriente vers un monde multipolaire, marqué par la compétition plutôt que la coopération, l’Afrique est appelée à redéfinir sa position géopolitique d’ici 2040.
Avec ses ressources naturelles immenses, sa jeunesse démographique — plus de 60 % de la population a moins de 25 ans selon l’Union africaine — et ses besoins en infrastructures, l’Afrique attire l’attention. Les pays du continent doivent cependant naviguer prudemment entre les intérêts souvent divergents de leurs partenaires internationaux.
Émergence d’un monde multipolaire : Une fenêtre d’opportunité ?
Selon le rapport “The Future of Geopolitics in Africa” de l’African Center for Economic Transformation (ACET), le système international n’est plus dominé par une seule superpuissance. Un monde multipolaire, où coexistent des pôles d’influence (États-Unis, Chine, Union européenne, Russie, Inde, Turquie…), pourrait offrir aux États africains plus de marges de manœuvre pour défendre leurs intérêts propres.
Cette diversification des partenariats, que certains appellent “la nouvelle diplomatie africaine”, permet à des pays comme l’Algérie, le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Égypte ou encore l’Éthiopie de jouer un rôle intermédiaire dans les rapports de force mondiaux. C’est notamment visible dans :
- Le développement des accords de coopération sécuritaire entre l’Afrique de l’Ouest et la Turquie
- Le Forum sino-africain (FOCAC) qui structure les investissements chinois sur le continent
- Les échanges croissants avec l’Inde, le Moyen-Orient et l’ASEAN
Néanmoins, la multiplication des acteurs extérieurs exige une capacité renforcée de négociation pour éviter un retour à la logique néocoloniale où les pays africains joueraient un simple rôle de fournisseurs de ressources stratégiques.
Ressources naturelles, technologies et enjeux énergétiques
Les tensions géopolitiques globales affectent profondément les chaînes d’approvisionnement en matières premières critiques. L’Afrique est au cœur de cette problématique avec ses réserves stratégiques :
- 65 % des réserves mondiales de cobalt se trouvent en République démocratique du Congo (source : Banque mondiale)
- L’Afrique détient environ 30 % des réserves mondiales de bauxite (source : USGS 2023)
- La Guinée, le Gabon, le Mozambique ou le Zimbabwe voient l’intérêt grandissant des grandes puissances pour leurs métaux rares
Dans un contexte de transition énergétique mondiale, ces ressources deviennent incontournables pour la fabrication des batteries électriques, des panneaux solaires ou des turbines d’éoliennes. En 2040, selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande globale en métaux critiques pourrait être multipliée par 4. L’Afrique devra dès lors adopter une politique industrielle concertée pour valoriser ces richesses en amont, au lieu de se contenter de les exporter à l’état brut.
L’intégration régionale comme outil de souveraineté
Face aux pressions extérieures, l’intégration régionale apparaît comme un levier majeur. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), en cours de mise en œuvre depuis janvier 2021, est conçue pour favoriser un commerce intra-africain qui ne représente encore que 15 % des échanges du continent (contre 68 % pour l’Europe, source : UNCTAD 2022).
Les bénéfices attendus de la ZLECAf sont multiples :
- Créer un marché commun de 1,4 milliard d’habitants
- Renforcer le pouvoir de négociation collectif des pays africains face aux partenaires extérieurs
- Atténuer la dépendance aux marchés mondiaux soumis aux aléas géopolitiques
L’horizon 2040 pourrait ainsi marquer l’avènement d’un continent économiquement plus intégré, à condition que les infrastructures, la logistique et le financement du commerce intra-africain suivent le rythme.
Sécurité et lutte contre les ingérences
Sur le plan sécuritaire, l’Afrique reste confrontée à divers foyers de tension. Le Sahel, l’est de la RDC, la corne de l’Afrique ou encore le nord du Mozambique sont le théâtre de luttes qui attirent de plus en plus d’acteurs extérieurs.
Les interventions militaires de puissances étrangères, à l’image de la Russie via le groupe Wagner ou des États-Unis dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, posent la question de l’autonomie stratégique. Dans ce contexte, l’Union africaine a réactivé des initiatives comme la Force africaine en attente (FAA) et le mécanisme africain de sécurité collective, mais leur efficacité reste limitée faute de financement et de coordination régionale suffisante.
D’ici 2040, la consolidation de véritables capacités africaines de maintien de la paix et de défense commune constituera un élément central du positionnement stratégique du continent sur l’échiquier mondial.
Diplomatie, soft power et transformation de l’image de l’Afrique
Outre les réalités économiques et militaires, la montée du soft power africain constitue un autre angle stratégique. L’influence culturelle (musique afrobeats, cinéma Nollywood, littérature panafricaine), l’essor des diasporas et la visibilité médiatique croissante des intellectuels africains modifient les représentations habituelles du continent.
Par ailleurs, de nouveaux forums diplomatiques tels que :
- L’adhésion de l’Union africaine au format G20 à partir de 2023
- La participation grandissante au Sommet Russie-Afrique, au Forum Turquie-Afrique ou à China-Africa Cooperation
- La montée des think tanks africains comme le South African Institute of International Affairs (SAIIA)
témoignent de l’affirmation progressive de l’Afrique comme acteur et non plus seulement comme spectateur des affaires mondiales.
La reconstruction de l’image de l’Afrique comme continent dynamique, innovant et porteur de solutions (dans la lutte contre le changement climatique, la sécurité alimentaire ou la digitalisation inclusive) est essentielle pour son positionnement stratégique futur.
Perspectives à l’horizon 2040
À l’horizon 2040, l’Afrique devra relever plusieurs défis interdépendants pour affirmer sa place dans un monde fragmenté :
- Renforcer son autonomie économique à travers la ZLECAf et la transformation industrielle
- Diversifier ses partenariats tout en conservant sa souveraineté décisionnelle
- Bâtir des institutions régionales solides et inclusives
- Investir dans sa jeunesse, l’enseignement supérieur et l’innovation technologique
- Prendre part activement à la gouvernance mondiale et aux régulations internationales
Alors que les incertitudes géopolitiques croissent, l’Afrique dispose de nombreux atouts pour jouer un rôle pivot dans la redéfinition des équilibres mondiaux. Loin d’être un simple terrain d’influence entre puissances étrangères, elle peut devenir l’un des centres de gravité du XXIe siècle à condition de parler d’une voix forte, cohérente et stratégique.